La solitude a considérablement augmenté au cours des dernières décennies ?

Il y a des choses que nous ne saurons jamais car il n’existe tout simplement pas de données à leur sujet. L’évolution de la solitude au cours des dernières décennies en fait partie.

Dans de nombreux pays industrialisés, le nombre de personnes vivant seules, restant célibataires ou divorçant semble avoir augmenté.

Parallèlement, la participation à des communautés telles que des clubs ou des partis politiques semble avoir diminué.

On peut donc soutenir que nous passons, en moyenne, plus de temps seuls et sommes moins ancrés dans des liens familiaux traditionnels qu’au début du XXe siècle.

Cependant, il existe peu d’études empiriques nous renseignant sur les tendances des sentiments de solitude antérieures à l’an 2000.

Cela ne signifie évidemment pas qu’il n’y avait pas d’études sur la solitude à cette époque. Cependant, ces études n’examinaient généralement pas la solitude dans le même groupe avec la même mesure de solitude au fil du temps. Autrement dit, les chiffres de ces différentes études ne sont pas aussi comparables entre eux que s’ils provenaient d’une seule étude évaluant la solitude à plusieurs reprises dans le même groupe.

De plus, les échantillons dans de nombreuses études de ce type ne sont pas représentatifs d’une population générale. Ils se composent principalement de personnes faciles à contacter, telles que des personnes intéressées par le sujet de l’étude, disposées à parler de leurs expériences psychologiques ou étudiantes en premier cycle universitaire dans les cours enseignés par les chercheurs.

Néanmoins, nous pouvons faire des estimations prudentes sur les tendances à partir de ces études.

Alors, la solitude a-t-elle explosé ?

Étonnamment, il ne semble pas que la solitude ait fortement augmenté au fil du temps : si certaines études montrent en effet des augmentations, d’autres constatent des diminutions, et d’autres encore ne constatent aucun changement du tout.

Parallèlement, et bien que je ne puisse pas encore étayer cela par des recherches, il semble que l’attention portée à la solitude ait nettement augmenté ces dernières années, surtout depuis la création d’un ministre britannique de la solitude en 2018. Une explosion de cette attention s’est ensuite produite en 2020 : la pandémie de COVID-19 avec ses mesures de distanciation sociale était également considérée comme entraînant une pandémie de solitude. Pour les deux années marquées par les confinements qui ont suivi, il existe, pour une fois, suffisamment de données pour tester cette idée.

Alors, la solitude a-t-elle explosé avec le COVID-19 ?

Pas clairement. Une méta-analyse (c’est-à-dire un résumé de plusieurs études existantes) suggère de légères augmentations de la solitude entre le début de l’année 2020 et la fin de l’année 2021 dans différents pays du monde.

Cette augmentation relativement faible peut surprendre car la solitude est souvent confondue avec l’isolement social. Cependant, il y a de nombreuses raisons de se sentir seul autres que l’isolement social seul, comme le deuil, la séparation ou le divorce, les problèmes ou les décisions, un contexte familial difficile, ne pas trouver de partenaire, les conflits dans les relations existantes, faire partie d’un groupe marginalisé ou stigmatisé comme une minorité sexuelle, etc.

D’après mes propres entretiens, il semble que beaucoup, voire la plupart des gens, se sentent seuls sans être socialement isolés ou passer trop de temps seuls.

Les confinements ont peut-être même rendu certains groupes moins seuls. Par exemple, les personnes qui aiment généralement passer leurs soirées seules se sont soudainement senties moins différentes des autres – et se sentir différent et incompris peut rendre assez seul.

De plus, les personnes qui ne se sentaient pas connectées aux autres sur leur lieu de travail et qui ont été envoyées travailler depuis chez elles ont soudainement eu beaucoup moins de déclencheurs de solitude. En effet, certaines personnes que j’ai interviewées avant la pandémie ont déclaré faire face à la solitude en pratiquant « l’hygiène relationnelle » – c’est-à-dire en ne passant délibérément pas trop de temps avec des personnes avec lesquelles elles ne se sentaient pas connectées ou proches. Si vous ne pouviez pas ou n’arriviez pas à pratiquer l’hygiène relationnelle avant le COVID, les confinements vous y ont contraint (parmi d’autres types d’hygiène, évidemment).

Il est clair que les confinements ont rendu certains groupes de personnes plus seuls – sinon les niveaux moyens n’auraient pas augmenté. Par exemple, dans un ensemble de données important provenant de 41 pays, les personnes extraverties avaient tendance à signaler une plus grande solitude pendant les confinements.

De plus, une étude a révélé que les personnes qui préféraient une plus grande proximité physique avec les autres étaient plus susceptibles de se sentir seules pendant les confinements.

En effet, les personnes dont les besoins sociaux n’étaient pas satisfaits dans cette situation étaient également plus susceptibles de se sentir seules à ce moment-là (il est à noter que les personnes qui éprouvent une solitude de longue durée en dehors des confinements préfèrent généralement une plus grande distance interpersonnelle et sont, en moyenne, moins extraverties.)

Mais laissons les confinements de côté et revenons à ce que nous pouvons conclure de manière plus générale.

Pour commencer, nous pouvons conclure que nous ne savons pas grand-chose sur les changements de la solitude au fil du temps.

L’idée principale, cependant, est qu’il y a peu d’indications selon lesquelles la solitude ait fortement augmenté au cours des dernières décennies. Les chiffres élevés de personnes déclarant se sentir extrêmement seules indiquent certainement que la solitude est un problème sociétal sur lequel nous devons agir.

Néanmoins, ce problème est peut-être moins récent que beaucoup de gens ne le pensent.